TERRIbLeS (II)
Suite de l’article TERRIbLeS (I) – Urbex mundus
Les fleurs du mal
Quand je m’approche de certains terrils, la première chose qui m’envahit à cette saison, c’est l’odeur écœurante qui émane des jolis Buddleias, autrement connus sous l’appellation perfide d’arbre à papillons. En effet, cet arbrisseau est très envahissant et quasi exclusif sur des milieux naturels rares plutôt xérothermiques (bien exposés au soleil, nos terrils en l’occurrence), écrasant la végétation souvent exceptionnelle de ces biotopes et en y excluant la faune toute aussi exceptionnelle.
Lorsqu’ils forment des populations importantes, ils attirent à eux une grande majorité de butineurs qui délaissent les fleurs sauvages avoisinantes. Celles-ci perdent alors leur potentiel de reproduction, car elles ont moins de graines formées. À certains endroits, ce sont des massifs entiers qui étouffent tout. En 2019, une expérience d’écopâturage a été tentée sur le terril du Bayemont/St-Charles à Marchienne-Docherie pour en limiter l’extension.
Non content d’être un envahisseur, le Buddleia est également un empoisonneur, car il produit des alcaloïdes toxiques pour les pontes des papillons qui auront eu le malheur de les butiner. Les jardineries seraient vraiment bien avisées de supprimer ces plantes de leurs rayons et d’expliquer pourquoi à leurs clients.
L’autre Attila végétal, présent depuis bien plus longtemps dans nos contrées, c’est la Renouée du Japon. Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), cette belle plante figure au palmarès des cent pires espèces envahissantes de la planète. Elle a une grande capacité à se reproduire et à éliminer ses concurrentes. Un vrai Terminator de la biodiversité ! Elle sécrète des substances au niveau des racines qui font mourir celles des autres plantes voisines. Les survivantes périront par manque de lumière tant son feuillage est dense. C’est également une hydre végétale : vous lui coupez la tête, cent en repoussent.

Trouver la petite bête
Pour les entomologistes, les terrils sont un beau terrain de jeu. Que de surprises étonnantes ! Sur les pentes du terril du Boubier à Bouffioulx, j’assiste à des jeux aériens de papillons entre espèces différentes. Ils virevoltent, se poursuivent et semblent s’amuser ensemble. Le superbe machaon y règne en maître. Moins plaisante, une colonie de guêpes a carrément pris possession des quelques mètres carrés de surface plate au sommet. Sans doute attirées par les fruits des églantiers. Elles me frôlent, mais ne semblent pas m’en vouloir si je ne m’approche pas trop près de leur nid.

À chaque pas, des criquets sautent dans tous les sens. Les criquets communs aux alentours et à la base des terrils, relayés ensuite par les criquets à ailes bleues sur les pentes chaudes et exposées. Ce dernier est la seule espèce de criquet protégée en Wallonie. Les uns comme les autres sont en pleine période de gros câlins. Dans un élan de voyeurisme orthoptère, je m’applique à immortaliser leurs ébats. Trop attelés à leur affaire, ils ne semblent pas très inquiets de ma présence indiscrète.
L’expérience la plus freaky avec les insectes se déroule au sommet du Saint-Théodore nouveau à Dampremy. Ce jour-là, en matinée, la lumière jaunâtre est particulière… les fumées des incendies californiens paraît-il. Je souhaite avoir une belle vue à la fois sur les vestiges industriels, la ville de Charleroi et l’alignement des terrils des Piges, de la Blanchisserie, du Sacré-Français et du lointain Boubier. Mal m’en a pris ! Au sommet, stagne et vibrionne un nuage aussi épais qu’un essaim de criquets pèlerins, mais ce sont des milliers de petites mouches très très incommodantes. Impossible de rester, elles se posent partout : dans les cheveux, sur le visage, dans les vêtements et le matériel. La seule photo prise est inutilisable, car on y voit des centaines de petites taches floues. Je redescends en courant vers un palier plus accueillant.


Alséide jumper
Début septembre, la version québécoise de l’été indien est remplacée par celle du désert du Thar. Les papillons et les criquets ne sont pas les seuls à batifoler dans les buissons. L’appel conjoint du Martinet à Roux et des heures dorées m’encouragent à grimper au sommet de ce terril luxuriant. Sécheresse aidant, il ressemble à un petit coin cévenol durant l’arrière-saison. Le sentier menant au sommet est inondé d’une lumière chaude. Le feuillage des bouleaux vire du vert gazon au kaki, à l’ocre et au jaune or. Muni de tout mon attirail, l’ascension commence dans la communion la plus absolue avec la nature.
Un dernier sentier assez raide et je devrais atteindre la crête boisée. Celle-ci mène à la sculpture métallique, objet de ma quête du jour. Arrivé au sommet de la pente, je reprends mon souffle. J’avance placidement sur le plat quand tout à coup, ma vision périphérique détecte une masse claire inhabituelle en mouvement rapide et vertical. Par réflexe, je tourne la tête et c’est avec stupéfaction que je vois une jeune dame, de face et dans le plus simple appareil, occupée à rebondir les yeux fermés dans les ronces, donnant l’impression de s’adonner aux joies de la pratique d’un ballon sauteur ’80 acheté chez Pabo.
Son camarade de jeux est forcément couché dans la végétation, mais il n’est pas visible, ce qui donne un tableau surréaliste d’une nymphe terrestre en accouplement pachamamesque avec notre Terre nourricière. Je nage en pleine allégorie mythologique gréco-andine.
Contrairement à la séquence des criquets, j’essaie de filer furtivement pour ne déranger personne. Vive les plaisirs de la vie après tout ! Manque de bol, la créature ouvre les yeux et d’un coup se fige comme la femme de Loth alors que je semble sortir d’un placard avec mon appareil photo muni d’un zoom 70-200 mm accroché au cou depuis mon départ. Je ne sais ce qu’elle pense, mon taux de crédibilité est largement entamé malgré mes meilleures intentions. Pour détendre l’atmosphère je leur dis sur un ton compassionnel légèrement surjoué de poursuivre et que je ne suis là que pour le terril. Trop tard, Gaïa est défaite et se rhabille dans la précipitation. Je poursuis mon chemin au plus vite totalement confus d’avoir bouleversé si maladroitement l’équilibre de l’univers.


La bonne réputation
Les occupants et visiteurs des terrils ne sont pas que végétaux, animaux ou divinités libidinales. Lors de mes pérégrinations, je croise occasionnellement des sportifs, des personnes âgées accompagnées de leur chien, des jeunes des quartiers voisins, quelques bourgeois périphériques en quête de racines patrimoniales.
Tous, sans exception, semblent d’un naturel sympathique et n’hésitent pas entamer la conversation au sujet de la beauté de la nature ambiante, d’un passé glorieux, mais révolu, de la chance d’avoir ces îles de quiétude dans ce monde de brutes. Certains terrils jouxtent des quartiers populaires à la réputation parfois ingrate. Mais cela ne fait aucun doute, quelle que soit sa condition, le carolo est un être profondément chaleureux et accueillant. Ça, je le savais, mais c’est toujours agréable de le vivre.
Petit palmarès personnel des terrils carolos
- Le plus visible et le plus haut : le terril du Boubier à Bouffioulx, on le voit de partout avec son sommet culminant à 266 m !
- Le plus boisé : le terril du Martinet à Roux, résultat d’un long combat citoyen.
- Le plus discret : le terril de la Remise à Gilly, un tout petit talus le long de la Basse-Sambre à droite du feu rouge en venant de Charleroi.
- Le plus crado : le terril Saint-Xavier à Ransart.
- Le plus vaste : le terril du Bayemont/St-Charles à Marchienne Docherie.
- Le plus urbain : le terril des Piges à Dampremy, quasi au centre-ville.
- Le plus chaotique : le terril des Aulniats à Farcienne avec un relief parfois dangereux.
- Le plus célèbre : le terril du Bois du Cazier à Marcinelle.
- Le plus place to be : le terril des Hiercheuses à Marcinelle avec son festival « Panorama ».
- Le plus canopée : le terril du Cerisier à Marcinelle avec vue exceptionnelle sur le bois de la Magneroule.
- Le plus disparu : le terril du Mambourg à Charleroi qui a fait place au centre commercial Ville 2.
- Le plus raccourci : le terril des Viviers à Gilly, sur lequel on construit le nouveau Grand Hôpital de Charleroi.
- Le plus toundra : le terril du Naye-à-Bois à Roux.
- Le plus chaud : le terril Saint-Charles à Ransart, toujours en combustion.
Lire la première partie >> TERRIbLeS (I) – Urbex mundus

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Cet article a 2 commentaires
Belle découverte du terril du cerisier suite à ce reportage !
Bravo pour ce texte et les photos..
Je me suis permise de partager.
Merci.