Au cœur même d’une zone d’habitat, un Airbus A310 carbonisé gît brisé en deux tels des cétacés en décomposition échoués sur la plage de nos illusions de modernité.
La raine des bocages
Il y a deux siècles, Gilly est un petit village rural probablement aussi pittoresque que ceux de l’entre-Sambre-et-Meuse. Sur la carte établie en 1777 par le comte Joseph de Ferraris, le quartier de Chantraine, tout proche des Quatre-bras, est occupé par des petites maisons entourées de jardins, de vergers et de bocages. Il tient son nom « chant-raine » du fait qu’il y a un petit étang à l’endroit de l’actuelle place et que la nuit, les grenouilles chantent intensément.
Au XIXe siècle, les charbonnages transforment profondément la région. Le quartier n’y échappe pas. Plusieurs fosses et le puits de la Remise sont desservis par une ligne de chemin de fer industrielle à l’emplacement de l’actuelle Basse-Sambre. Le tout petit terril de la Remise et quelques rangées de maisons de type corons sont les derniers témoins du charbonnage des Viviers du Couchant (le Levant étant situé sur la zone du futur Grand Hôpital de Charleroi).

Urbanisme bling bling
L’ouverture d’une route à la place de la ligne de chemin de fer transforme à nouveau le quartier. La rue Devillez est coupée en deux, mais, comme la frontière entre les deux Berlin en 1953, beaucoup d’habitants continuent à traverser la nouvelle Nationale 90 frôlant la mort à chaque passage. Le creusement de trémies finit de convertir en quasi-autoroute ce qui devient la route de la Basse-Sambre telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le site du futur avion est toujours occupé par un dépôt de produits du charbon (coke).
Dans les années 90, les choses sérieuses commencent. Une demande de permis est déposée pour installer un ancien Airbus A310 déclassé d’une compagnie nigériane et y installer un restaurant et un bar à cocktails. Tollé dans le quartier et d’aucuns se demandent pourquoi, tant qu’à faire, ne pas le placer dans le zoning commercial quelques centaines de mètres plus loin vers Charleroi ? Malheureusement, c’est la grande époque où le concept de bon aménagement des lieux sonne souvent comme une incongruité aux oreilles de caciques carolos plutôt prompts à s’asseoir sur les règles d’urbanisme au profit de projets bling-bling. Rien n’y fait et l’avion est bien installé en plein quartier habité devant les maisons et contribue à le défigurer encore un peu plus.

Low cost, less frost
L’établissement connaît son succès pendant plusieurs années, se transforme en discothèque et l’avion devient un symbole carolo dont on ne sait pas trop s’il faut en penser du bien ou du mal. Le quartier est renommé « L’avion de Gilly ». En 2012, l’activité commerciale cesse. Un moment, il est question d’un vague projet pour l’envoyer en Normandie, mais celui-ci n’aboutira pas. Pendant huit ans, il est à la merci des squatteurs et se dégrade jusqu’au coup de grâce donné ce 17 novembre 2020 par de juvéniles pyromanes. Il ne reste plus qu’une carcasse carbonisée.
Symboliquement l’image ne manque pas de piquant. À l’heure d’une vaste et nécessaire remise en question de notre modèle économique pour cause de réchauffement climatique, voir cet avion semblant s’être crashé en plein milieu urbain résonne comme un hallali prémonitoire. L’avion de Gilly terminera donc en ferraille et se pose maintenant la question de l’avenir du site. En 2017, un promoteur anversois dépose une demande de permis pour y construire des logements, mais celle-ci est refusée, car il s’agit d’un ancien charbonnage.

Réensauvageons Gilly !
Alors quid du terrain probablement fragilisé et pollué durant ses anciennes vies ? La place Chantraine voisine, longtemps occupée par des préfabriqués ayant servi d’administration provisoire lors de la construction du nouvel hôtel de ville de Gilly et ensuite de classes pour la formation professionnelle a été rénovée et recouverte d’un sarcophage de béton. Le quartier n’est pas très verdoyant et, à part une rangée d’arbres, il ne faut pas trop compter sur la place pour y retrouver un semblant de biodiversité.
Alors, transformer le site de l’avion en zone verte ne serait-il pas une idée intéressante ? L’aménagement d’une petite pièce d’eau agrémentée d’une miniforêt urbaine Miyawaki pourrait redonner un peu de fraîcheur et de nature à ce quartier si maltraité. Le retour de la raine est-il envisageable ? Et qui sait, si le biotope lui est favorable pourra-t-on peut-être un jour y voir à nouveau la majorette, cette créature mythique dont les derniers spécimens ont été aperçus au début des années 80 ? C’est par centaines qu’elles migraient en mars et en octobre à partir de la Flandre et du nord de la France traversant la Sambre et le canal au péril de leur vie pour rejoindre coûte que coûte les Quatre-bras lors du carnaval et de la braderie.
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Cet article a 5 commentaires
Mr et Mme Ridgilly ont un fils…
Solution lors de mon prochain passage si personne ne trouve entretemps.
Brad. Brad Ridgilly bien sûr 😄
Formidables photos. Gilly … Grandeur, décadence, renaissance ?
Cet avion a probablement eu des ratés moteurs en passant au dessus du Killimandgilly.
Feu le Killimandgilly 😔